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L’arbitrage international, témoignage de la puissance géopolitique des entreprises

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La puissance n’est pas l’apanage de l’Etat. C’est du moins ce que démontrent l’émergence et le recours aux Investor-State Dispute Settlement, ou mécanismes d’arbitrage international. Ces structures judiciaires, visant au règlement des différends entre Etats et acteurs privés, tirent leur essence des traités de libre-échange. Ces systèmes  sont cependant accusés de défendre les intérêts des entreprises au détriment de l’intérêt public.

Une vue de la Banque mondiale, qui habrite le CIRDI
Le CIRDI, au siège de la Banque mondiale. Haut lieu des procédures d’arbitrage entre entreprises et États

Pensés au départ pour pallier le manque de stabilité des investissements dans des pays réputés instables, les mécanismes d’arbitrage international se sont peu à peu érigés en véritables vecteurs d’influence pour les entreprises. Tirant leur légitimité des traités, ils apparaissent avec la création du CIRDI* (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) ou encore l’Accord de coopération économique Indonésie – Pays-Bas (1968).  Aujourd’hui, les groupes et textes multilatéraux comportant de semblables dispositions sont notamment l’ALENA, l’Accord bilatéral Australie – Hong-Kong, ainsi que les très décriés TAFTA et CETA comportant des mesures similaires. Entre 1987 et 2017, la CNUCED a fait état de 855 cas d’arbitrages. Y est également souligné un rapport de force plus favorable aux Etats (37% d’affaires remportées contre 28% pour les entreprises).

L’arbitrage international sous le feu nourri des critiques

Cet équilibre est cependant remis en cause, comme le souligne le média néerlandais De Correspondent : « Souvent, l’affaire n’arrive pas au stade de l’arbitrage, car la menace d’une procédure onéreuse suffit à faire plier un pays ». En outre, la primauté des traités sur les législations nationales et l’impossibilité de contestation sont également pointées. La troisième pierre d’achoppement réside dans la composition de ces tribunaux. En effet, seules les parties impliquées conviennent de la nomination des juges. Enfin, des voix s’élèvent contre la vocation contemporaine de ce modèle, l’accusant de permettre le contournement du pouvoir judiciaire pour les entreprises.

Un exemple concret : Vattenfall contre l’Allemagne

En 2009, l’entreprise suédoise Vattenfall dépose plainte contre l’Allemagne en vertu du Traité sur la Charte de l’Énergie. Le producteur met ainsi en cause les décisions environnementales des autorités de Hambourg, rendant caduque son projet de centrale à charbon. Réclamant 1,4 milliards d’euros à Berlin à titre compensatoire, le suédois obtiendra  gain de cause avec un arrangement judiciaire et un assouplissement des normes allemandes.

Coactionnaire de deux centrales du pays, Vattenfall engage d’autre part une seconde procédure en 2012, s’estimant « lésé » par la décision d’Angela Merkel de sortie du nucléaire. Devant la cessation de son activité, l’entreprise réclame, sous l’égide du CIRDI, 4,7 milliards d’euros de dédommagements. Le Bundestag a par conséquent adopté un projet de loi visant à une indemnisation à hauteur d’un milliard d’euros. Émerge en cela un modèle discutable, car ces indemnisations sont publiques, payées par les contribuables allemands. Face à cette situation, des évolutions sont cependant à noter. En effet, la Cour de Justice de l’UE, a invalidé le principe de ces tribunaux en mai 2018. Reste à savoir si cette initiative restera isolée ou provoquera une émulation mondiale.

* CIRDI : Institué par la Convention éponyme de 1966, il offre aux États et entreprises un cadre institutionnel pour les affaires relatives. Ses missions concernent le règlement des litiges par conciliation, arbitrage et constatation des faits. Il dépend de la Banque mondiale.

Infographie tribunaux d'arbitrage

 

Sources :

CNUCED, IIA Issues Notes, Investor-State Dispute Settlement : Reviews of Development in 2017, UNCTAD, juin 2017

BREVILLE Benoit, BULLARD Mathilde, Des tribunaux pour détrousser les Etats, Monde Diplomatique, juin 2014

FREDERIK Jesse, DE VLIEGER Jessica, L’arbitrage au service des multinationales, De Correspondent, 12 février 2014

GUYADER Hervé, Pourquoi l’Allemagne va payer cher l’arrêt du nucléaire, Les Echos, 13 juin 2017

REUTERS, Sortie du nucléaire, l’Allemagne pourrait compenser les énergéticiens à hauteur de 1 milliard d’euros, L’Usine Nouvelle, 23 mai 2018

VAUDANO Maxime, L’arbitrage international, une justice sur la sellette, Le Monde, 24 août 2018

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Antoine Vandevoorde

Antoine Vandevoorde est analyste en stratégie internationale, titulaire d'un Master 2 Géoéconomie et Intelligence stratégique de l'IRIS et de la Grenoble Ecole de Management depuis 2017. Ses domaines de spécialisation concernent la géopolitique du cyberespace, les relations entreprises - Etats, l'intelligence économique et l'Afrique. Il est rédacteur aux Yeux du Monde depuis mars 2019.

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